Contournement de Feytiat: de ce qu’il ne faut plus faire à ce qu’on pourrait faire…

Des projets climaticides, fruit d’une conception autoritaire de la démocratie couplée à une approche de l’aménagement du territoire archaïque et subordonnée aux intérêts des grands groupes du BTP !

« Nous sommes au lendemain d’une mobilisation mondiale de la jeunesse sur le climat et cet après-midi nous rejoindrons le cortège de celles et ceux qui ne veulent plus attendre pour agir »Effectivement. Il y a urgence absolue à agir pour le climat, comme le reconnaissait Olivier Faure devant le Conseil National du PS le 16 mars dernier… Hélas ! Que n’a-t-il pris soin d’en informer  les exécutifs locaux socialistes de Haute-Vienne ou de Nouvelle-Aquitaine. Car pour eux, l’urgence climatique c’est: « Circulez en voiture et en camions,  y a rien d’autre à voir » ! On enchaîne les projets routiers climaticides au département et à la Communauté Urbaine, on fragilise à l’extrême le maillage ferroviaire fin du territoire à la Région Nouvelle-Aquitaine.  Comment peut-on être à ce point sourds et aveugles aux impératifs de l’époque ? N’ont-ils donc rien lu, rien appris des travaux du GIEC, rien entendu des mobilisations citoyennes, lycéennes notamment, pour le climat ?

Je publie ci-dessous l’analyse que Laurent Paillard a présentée le 26 février 2018, lors du débat citoyen : Méga-régions, métropoles: quelles conséquences concrètes ? L’urgence  de construire autrement le développement de nos territoires.  Elle reste d’une actualité et d’une pertinence manifestes.

A l’approche de l’été 2017, les habitants de Feytiat ont été informés d’un projet de raccordement de la RD 979 à l’échangeur 36 de l’A20 porté par l’agglomération. Ils ont pu aussi apprendre l’existence d’un projet de contournement de Feytiat par une déviation de la RD 979 et d’un raccordement à la RD 941 porté par le Conseil Général.

Ces deux projets ont été présentés par les instances politiques comme des projets d’intérêt public destinés à faciliter la mobilité des Feytiacoits. L’augmentation du trafic automobile présente et prévisible à l’avenir rendrait ces infrastructures nécessaires, selon les porteurs de ces projets. Comme le prévoit la loi, les deux institutions dirigées [alors] par le PS ont proposé des réunions dites de « concertation » afin d’informer la population de leurs décisions et de tenter de la persuader de leur intérêt.

Il est apparu très vite, aussi bien lors de la réunion du 10 juillet à la Mairie de Feytiat que lors de la réunion du 14 septembre à l’Hôtel du département que contrairement à ce que prétendent les élus, ces projets sont très discutables, aussi bien sur la forme que sur le fond. En effet, ils relèvent d’une conception autoritaire et très verticale du débat politique, et corrélativement, de l’aménagement du territoire, qui substitue des intérêts économiques très particuliers à la nécessité d’améliorer le cadre et les conditions de vie des habitants.

Visiblement, les leçons de Sivens et de Notre-Dame-de-Landes n’ont pas été tirées et nos élus continuent de décider, en petit comité, associés aux professionnels du BTP, des « Grands-petits projets inutiles » en passant au dessus des citoyens et des besoins réels des populations concernées. A l’heure du dérèglement climatique, des risques auxquels sont exposés les terres cultivables nécessaires à la relocalisation des cultures maraîchères, de la nécessité de préserver un cadre de vie agréable et de réduire la place de l’automobile dans les villes, ce projet a tout des archaïsmes technocratiques qui détournent les citoyens de la politique et de la nécessité de s’investir dans la vie démocratique locale.

1. Une conception verticale de la démocratie

Il est important d’analyser en premier lieu le processus de décision très technocratique car cela permet de comprendre pour quelles raisons le projet est très peu attentif aux besoins réels des populations concernées. Le fond du projet est en effet inadapté à l’intérêt général bien compris car il a été conçu en petit comité pour être imposé aux habitants.

Monsieur Leblois a présenté ce qu’il a appelé « son projet », en insistant sur le fait qu’il le portait depuis plus de vingt ans. On peut se rappeler qu’une première tentative pour l’imposer, dans les années quatre-vint dix, s’était déjà heurtée à la mobilisation des populations concernées par le projet. Pourtant, malgré une communication qui laisse entendre le contraire, la procédure actuelle est analogue à celle qui a déjà échoué.

Le projet a donc été présenté « clef en main » sans qu’aucune étude comparative avec des solutions alternatives à l’automobile n’ait été menée. En effet, afin de réduire les nuisances causées par le développement du trafic automobile, on aurait pu imaginer que développer les transports en commun* et prévoir de le faire en site propre pourrait constituer une solution possible. Mais pour les élus, il n’y a pas d’alternative, toutes les propositions en ce sens émanant du public des réunions dites de « concertation » se sont heurtées à une fin de non recevoir. Lorsque l’on prétend pratiquer la « démocratie participative », la moindre des choses est de prendre en compte les propositions citoyennes, de les étudier sérieusement. En suspendant le projet le temps que l’étude soit menée à bien. Puis de mettre en débat les différentes possibilités. Or, le déroulement des réunions, et leur absence d’effet sur le calendrier ainsi que sur la mise en œuvre du projet montrent qu’il s’agissait de réunion d’imposition, et non de concertation.

Ajoutons à cela que l’enquête publique s’est déroulée du 4 juillet au 4 août, c’est-à-dire pendant les vacances d’été. C’est une période à la fois très courte et peu propice à l’investissement des citoyens. On peut remarquer qu’elle a été menée avant la réunion d’information sur le projet qui elle a eu lieu le 14 septembre. On peut remarquer enfin que le projet n’a pas du tout été modifié après celle consultation.

Dans le même esprit, la réunion à l’Hôtel du département a été un modèle du genre. Avant que le public puisse prendre la parole, un exposé très technique destiné à « en imposer », avec graphiques et diaporama a très longuement ouvert les « débats ». Il est à noter que le dispositif de la salle était très frontal. Nous sommes donc dans une conception très autoritaire de l’aménagement du territoire. Petite curiosité : aux cotés des élus, sur l’estrade, il y avait en soutien au projet le patron de l’entreprise de BTP Massy. De nombreux architectes, urbanistes, géographes, etc.. réfléchissent aux problèmes urbains depuis des décennies. Il aurait été préférable de faire appel à eux.

Le deuxième point a préciser est que le projet a été présenté de façon dissociée. A la mairie de Feytiat, la liaison avec l’échangeur 36, et au département, le contournement de Feytiat et la liaison avec la RD 941. Il était donc impossible aux habitants de se faire une idée précise de la philosophie globale du projet et de son but véritable.

Les projets ont été systématiquement présentés comme des moyens de fluidifier la circulation dans Feytiat en direction de Limoges et de la RD 941. Or, pour qui a assisté aux deux réunions, il s’avère que sous la pression des diverses questions du public, il est apparu qu’il s’agissait en fait de revivifier la zone commerciale du Ponteix, mise à mal par le développement de « Family village » au nord de l’agglomération. Finalement, aveuglés par l’idéologie de la métropolisation et de la mise en concurrence des territoires, les élus utilisent l’argent public pour alimenter la concurrence entre les zones commerciales périphériques, ne voyant pas qu’en favorisant l’accès à l’une, ils affaiblissent l’autre. Tout cela se faisant à fonds perdus et ainsi de suite jusqu’à destruction de l’environnement urbain et péri-urbain. Cela affecte également le commerce de proximité dans le centre des villes et villages environnants, à savoir, Limoges, Feytiat, Panazol et si possible tout le Sud-Est du département. Pourtant, la grande distribution est déjà surdimensionnée dans l’agglomération et le commerce de proximité est indispensable à la préservation d’un tissu social actif déterminant pour la qualité de vie.

Enfin, l’augmentation du trafic routier est présentée comme une fatalité incontrôlable alors qu’elle est en grande partie le fruit d’une conception de l’aménagement du territoire datant des années soixante, favorisant l’étalement urbain et la séparation entre logements, services, commerces et emplois. Elle est donc précisément l’effet de la politique menée. Les projets en question faisant partie du problème qu’ils prétendent régler. Il est donc possible de mener une autre politique d’urbanisme ne provoquant pas ces difficultés de circulation. Mais pour cela il faut changer de modèle de développement de l’espace urbain.

Au final, la procédure d’imposition de ce projet n’est pas démocratique car il n’est pas pensé pour les habitants. On peut s’en apercevoir en regardant le détail technique de l’opération et en le comparant à la solution consistant à développer les transports en commun. En effet, le prétexte avancé est de fluidifier la circulation dans Feytiat. Le résultat prévisible est qu’elle va l’intensifier en augmentant le trafic en provenance de Panazol et en favorisant l’étalement urbain périphérique. Le tout se retrouvant à l’endroit en réalité le plus saturé, mais non compris dans le projet, à savoir le tronçon entre Crézin et l’échangeur 35 de l’autoroute A20.

2. Une conception de l’aménagement du territoire aux conséquences catastrophiques

Ces projets routiers accompagnent le choix fait par l’agglomération de l’étalement urbain au détriment d’un habitat plus dense, localisé près des bassins d’emplois, des zones de commerce et de services. Elle vise donc à transformer de Sud-Est de Limoges en zone dortoire risquant ainsi d’intensifier la désertification des espaces les plus éloignées de la ville. Par exemple, un nouveau lotissement voit le jour en ce moment même à la sortie de Feytiat, alors que sur la même commune il existe de nombreuse friches (au Ponteix par exemple) proches des lignes de transport en commun, des emplois et des commerces. Nous ne pouvons que constater le fait que ce choix politique induit un gaspillage considérable d’argent public puisqu’il oblige à étendre la voirie et les réseaux nécessaires à la viabilisation des terrains agricoles ainsi détruits. Ajoutons que c’est aussi un non-sens écologique. Le même processus affecte les communes de la troisième couronne victimes d’un développement pavillonnaire anarchique.

Ce projet est en contradiction avec la volonté de la ville de Limoges de préserver son centre et d’y réduire la circulation. D’un côté on oblige les habitants à aller vivre loin de la ville et on favorise l’utilisation de l’automobile. De l’autre, on pénalise les automobilistes en réduisant les possibilités de circulation et de stationnement au centre. Pour finalement s’apercevoir dans vingt ans qu’il faudra fermer la ville à la circulation automobile de manière coercitive comme le font les agglomérations « en avance » dans ce processus de délitement du tissu urbain et péri-urbain. Cela a pour double effet d’augmenter les nuisances dues à l’automobile et d’entraver l’accès à la ville à des populations rejetées, souvent malgré elles, loin de celle-ci. Ajoutons que la politique d’urbanisme à la périphérie entre ainsi en contradiction avec les préconisations du SCOT.

En plus des effets induits par le choix de développer le trafic routier, les rocades prévues vont avoir un impact très négatif sur les milieux naturels, agricoles ou habités qu’elles vont traverser. Elles vont détruire des milieux humides et boisés. On peut en particulier craindre son impact sur la vallée de l’Auzette proposant des activités en milieu préservé pour de nombreux limougeauds souhaitant sortir de la ville à pied ou à vélo.

Comme l’ont reconnu les porteurs du projet lors de la réunion à l’hôtel du département, ces aménagements vont reporter et accroître les difficultés de circulation à l’entrée de Limoges et de l’A20, notamment à l’échangeur 35. Cette entrée est d’ailleurs l’endroit où il y a le plus de ralentissements à certaines heures. On peut s’étonner de l’idée d’amener encore davantage d’automobiles à cet endroit tout en prétendant fluidifier le trafic. On peut en effet voir sur la carte à la page 19 du dossier de consultation que le point de blocage de la circulation, le matin, se trouve en aval du projet. Le décideurs en sont donc informés et aggravent délibérément la situation.

Pour toutes ces raisons, il apparaît que ces projets ne relèvent ni d’une préoccupation pour l’intérêt général ni d’un souci d’améliorer les conditions de vie des populations concernées.

3. Pistes pour des solutions alternatives

Considérant les impacts de ces projets sur les populations et les espaces riverains, il ne semble pas concevable qu’il soient menés à bien sans une étude sérieuse des solutions alternatives possibles.

En premier lieu, s’il s’agit de fluidifier la circulation dans l’agglomération, on peut penser que régler les problèmes provoqués par le développement incontrôlé de la circulation automobile par l’augmentation du trafic routier constitue une fuite en avant peu responsable.

Il apparaît donc nécessaire d’étudier une desserte en transports en commun* digne de ce nom à la ville de Feytiat et aux communes limitrophes. En premier lieu en augmentant la fréquence des bus et à plus long terme, en prévoyant la création d’une ligne en site propre se terminant par un parking à l’entrée de Feytiat. Ensuite, en prolongeant cette ligne en direction des zones d’habitation plus excentrées.

Pour ce qui est de la fréquence des bus, on peut en effet remarquer (sauf erreur, les horaires des bus allant à des endroits différents étant très difficilement lisibles) qu’en semaine, il n’y a par exemple aucun bus allant de Feytiat à Limoges entre 9h56 et 11h57, puis de cette heure jusqu’à 13h09. Il y a aussi de nombreuses plages horaires d’une demi heure à 50 minutes sans bus dans la journée. La même irrégularité pouvant être constatée dans le sens du retour.

La création d’une voie en site propre sur la RD 979 avec un cadencement des bus suffisant pour avoir une souplesse d’utilisation suffisante pour les usagers doit être étudiée. La question se pose de savoir si cela doit se faire en prolongement de la ligne 4 ou directement en direction de la place Churchill. Le coût d’un tel aménagement et de son fonctionnement doit être comparé à celui des infrastructures routières (sur lesquels l’agglomération et le département n’ont pas communiqué lors des réunions de présentation de leurs projets, il faut le souligner).

La reconfiguration de l’échangeur 36 et du rond point de la Valoine et de leur liaison avec la RD 979 peuvent être repensés en y intégrant l’option consistant à développer les transports en commun. Un accès direct à l’A20 sans passer par le rond point au niveau de l’échangeur 35 (non prévu dans les projets en cours) semble opportun.

Enfin, cet autre modèle de développement des transports doit être associé à un autre modèle d’urbanisme en périphérie de la ville. Avec un habitat plus dense et regroupé autour des services de manière à autoriser à plus ou moins long terme la mise en place de transports en communs jusque dans les communes de la troisième couronne. Cela vaut autant pour Feytiat que pour Eyjeaux, Aureil ou la Geneytouse qui ont actuellement un modèle d’urbanisation peu compatible avec le développement des transports en commun, des services de proximité et la préservation de l’environnement. On peut enfin remarquer que ce modèle d’urbanisation favorise le repli sur soi et le ressentiment à l’égard de la privation d’infrastructures de qualité qui s’exprime par une croissance très nette du Front National dans les zones pavillonnaire.

Laurent Paillard

* On rappellera à ce sujet le projet de Tram-Train pour Limoges et son territoire (dans un rayon de 60 km autour de la ville centre) articulé à la remarquable étoile ferroviaire limougeaude autour de la ligne POLT et des 4 lignes TER.

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