Errare humanum est, perseverare diabolicum*

UnknownLe Conseil d’État,  juridiction administrative suprême de la République, serait-il devenu  un tribunal où triomphent les lobbies au mépris de l’intérêt général ?

C’est bien l’impression qu’inspirent les réactions dépitées des zélés promoteurs du barreau LGV Limoges-Poitiers, à l’annonce hier de l’invalidation de la DUP. S’il est difficile de dresser le palmarès des réactions lamentables, le maire de Limoges est sans conteste en bonne position pour prétendre à la plus haute marche du podium. « Au nom de soucis particuliers, l’intérêt général est bafoué. Si la France de Napoléon III puis de la Troisième République avait pris en compte les égoïsmes particuliers, jamais notre pays n’aurait connu l’essor industriel, commercial et démographique qui fut le sien à l’orée du XXe siècle. », déclare-t-il. On croit rêver ! Il faut-être plus précis, Monsieur le Maire: à quels intérêts particuliers faites vous ici allusion ? La suite nous éclaire sur la conception singulière de l’intérêt général républicain dont sont porteurs ces autoproclamés Républicains: « François Hollande doit sa carrière à notre région: on aurait pu espérer qu’à défaut d’avoir de la reconnaissance envers celles et ceux qui ont permis à ce Parisien de s’implanter et de prospérer ici – comme Jacques Chirac en son temps qui, lui, fit venir l’autoroute -, François Hollande prendrait conscience de l’importance des enjeux que représente la LGV pour inscrire notre région dans l’Europe de la modernité. » Comment reconnaître plus clairement que, pour ses promoteurs, la LGV était un projet qui aurait du être octroyé à ses amis par le Prince en récompense des services rendus. A celles et ceux qui pensaient congédier les petits arrangements entre amis et le système clientéliste à la mairie par un simple changement d’équipe, la vie s’est vite chargée de montrer que changer les têtes en remplaçant une pseudo gauche par une vraie droite n’est pas la solution pour sortir d’un tel système !

Mais que dit le Conseil d’État ? Reprenons chacune des motivations de sa décision. On y mesurera au passage toute l’importance qu’il y a à juger à l’abri des réseaux d’influence locaux et des petits arrangements entre amis pour retrouver simplement le chemin du bon sens:

  1.  « Le financement du projet n’est, en l’état, pas assuré ». On lit ainsi en outre que « le dossier d’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique… ne contient ainsi aucune information précise relative au mode de financement et à la répartition envisagés pour ce projet; qu’eu égard notamment au coût de construction, évalué à 1,6 milliard d’euros en valeur actualisée 2011, l’insuffisance dont se trouve ainsi entachée l’évaluation économique et sociale a eu pour effet de nuire à l’information complète de la population et été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative« . Le Conseil d’État dit publiquement ici ce que tout le monde sait depuis le début, et notamment les grands élus promoteurs du projet ! Mais ceux-ci ont fait mine de l’ignorer – dupant ainsi les citoyens ainsi que l’autorité administrative qui a accordé la DUP ! – en misant comme de coutume sur leurs réseaux de connivences et d’allégeances pour espérer régler le problème. Las, l’austérité aidant, les « amis politiques » ne sont plus ce qu’ils étaient…
  2. « Les temps de parcours affichés font l’objet d’incertitudes résultant de la complexité de gestion d’une voie à grande vitesse unique assortie d’ouvrages d’évitement ». Ca aussi tout le monde le sait depuis le début, et notamment les syndicalistes cheminots qui l’ont maintenant fois expliqué. Encore aurait-il fallu daigner les écouter… . Tenir les temps de parcours affichés aurait relevé de l’acrobatie permanente alors même que le barreau était prévu à une seul voie (avec un seul point de croisement, à Bellac) et qu’il fallait pour chaque passage assurer un raccordement à Poitiers (aucun trajet direct Limoges-Paris !)
  3. « L’évaluation de la rentabilité économique et sociale du projet est inférieure au niveau habituellement retenu par le Gouvernement pour apprécier si une opération peut être regardée comme utile, en principe, pour la collectivité ». Pour les partisans (dont je suis) d’un vrai service public dégagé de la logique de rentabilité financière immédiate, cet argument ne peut en être un… Mais le juge ne fait pas la loi, il se contente de l’appliquer telle qu’elle est, et en principe  à tous de la même façon. On peut mesurer ici toute la duplicité des élus (PS – droite – FN) porteurs du projet qui soutiennent sans faillir les logiques libérales de rentabilité quand elles s’appliquent aux autres, mais les trouvent bien saumâtres quand elle les touchent directement.
  4. « Si le projet est principalement justifié par des considérations d’aménagement du territoire, la liaison qu’il prévoit se présente comme un simple barreau se rattachant au réseau ferroviaire à grande vitesse, dont il n’est pas envisagé le prolongement ». Comment dire plus clairement que ce projet cul-de-sac (puisque la grande vitesse se serait arrêtée à Limoges) avait pour seule vocation de satisfaire quelques notables et grands décideurs limougeauds… en se parant qui plus est des habits de l’intérêt général !
  5. « Sa mise en œuvre aura, en outre, selon toute vraisemblance, pour effet un report massif de voyageurs de la ligne Paris-Orléans-Limoges-Toulouse vers la ligne à grande vitesse, impliquant une diminution de la fréquence du trafic sur cette ligne et donc une dégradation de la desserte des territoires situés entre Orléans et Limoges » ; là encore tout le monde savait depuis le début que ce projet sacrifiait des pans entiers de notre territoire, notamment les zones les plus rurales.
  6. « En déclarant d’utilité publique et urgents les travaux de construction, dont l’engagement est envisagé entre 2030 et 2050, le Gouvernement n’a pas satisfait à la réserve formulée par la commission d’enquête tendant à ce que ces travaux soient programmés à un horizon suffisamment rapproché. Ainsi, l’adoption immédiate du décret porte une atteinte très importante aux droits des propriétaires des terrains dont la déclaration d’utilité publique autorise l’expropriation dans un délai de quinze ans ». Une évidence ! Condamner immédiatement de nombreuses surfaces agricoles pour un hypothétique projet à 15 ou 20 ans est proprement ahurissant…
A présent que faut-il faire ? Prendre acte que ce projet est mort, arrêter la gabegie et récupérer les sommes qui peuvent l’être, et immédiatement agir avec détermination pour la ligne POLLT.  L’avenir  pour Limoges et pour le limousin impose de revenir rapidement à des conditions satisfaisantes de dessertes ferroviaires entre Paris et Toulouse via Limoges.

Il est proprement insupportable qu’aujourd’hui la SNCF en soit réduite à n’avoir, à certaines périodes, à proposer aux usagers habituels de la ligne que des trajets de 4h00 et plus entre Paris et Limoges quand on sait qu’il y a quelques décennies, avec le Capitole, la liaison Limoges-Paris se faisait en 2h50 et sans retards ! Voilà  où nous a mené la priorité aveugle au barreau LGV. Un véritable fiasco selon l’expression percutante de mes camarades L. Pache, P. Rome, Ch. Audoin, et S. Lajaumont, anciens conseillers régionaux du Limousin. 125 millions d’€ déversés en pure perte pour ce projet non financé ! Voilà qui a cruellement fait défaut à la ligne historique; et la fuite en avant n’apporterait aucune solution à cette situation.

Au point où on en est aujourd’hui, la seule solution sérieuse, un tant soit peu réaliste et conforme à l’intérêt général est de se mobiliser pour la ligne POLT et pour la réouverture du Bordeaux-Lyon. Voilà la position qu’il faudrait selon moi défendre le 3 mai devant le secrétaire d’État aux transports.

* Locution latine: L’erreur est humaine, l’entêtement dans l’erreur est diabolique

(2 commentaires)

    • Marie Labat on 16 avril 2016 at 17 h 35 min
    • Répondre

    Magistral ! Ce dénouement laisse un goût amer, cependant : que de temps perdu, que d’argent parti en fumée. Si les élus étaient juridiquement responsables en cas de gabegie, ce genre de scénario ne pourrait se produire. On rêve de les voir mettre la main à la poche pour rembourser l’argent qui a ainsi été volé aux contribuables pour rien !

    • CLAIR Philippe on 16 avril 2016 at 18 h 15 min
    • Répondre

    citation latine dés plus adaptée ,mais il faut par un bulletin de vote bien placé (PAS LE DÉPUTÉ !!!) mais comme un « bourre pif » à la AUDIART empêcher de NUIRE tous ceux qui ont soutenu ce projet inutile et destructeur

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