Cour d’appel, université, CHU, TER, POLT, RN 147, Fr3, très haut débit…: pas d’issue dans la fuite en avant métropolitaine !

Excellente initiative que d’appeler à un débat citoyen sur l’avenir de la Cour d’appel et plus largement sur les effets de la réforme territoriale pour la ville et au-delà pour tout notre territoire !

Comme beaucoup de monde, j’ai assisté jeudi soir au débat « citoyen » organisé par les avocats des barreaux de Guéret, Tulle, Brive et Limoges en grève contre la menace de fermeture de la Cour d’Appel de Limoges en tant que juridiction de plein exercice. Manifestement ce type de débat répond à une immense attente: l’affluence massive, la grande diversité des présents en témoignent assurément.

Malheureusement,  le débat n’eut de citoyen que le nom tant la parole des citoyens ordinaires fut largement escamotée. Le Populaire et l’Écho  ont d’ailleurs parfaitement saisi ce décalage entre les attentes des présents et la manière dont a été menée la soirée. Car les interventions, hormis celles des avocats et gens de justice au demeurant fort intéressantes, ont été pour l’essentiel monopolisées par les grands élus, actuels ou passés,  et des personnalités.

Ces interventions n’ont certes pas manqué d’intérêt. On a ainsi appris du Président Leblois (Conseil départemental) que la réforme territoriale et la création de la grande région n’étaient en rien responsables des menaces pesant sur la Cour d’Appel !!! On a aussi entendu le Maire de Limoges nous dire ici des choses bien différentes de ce qu’il dit et fait voter au Conseil municipal. Pour sa part, la députée LREM M-A Magne (seule femme de la tribune !) n’a guère convaincu l’auditoire. « Nous devrons donc faire sans vous » lui a-t-il même été répliqué. Quant au Président Vandenbrouke (cumulant les fonctions de Président de Limoges Métropole et de 1er Vice-Président de la région Nouvelle Aquitaine) il a confirmé son souhait de faire procéder à une étude afin d’évaluer les conséquences pour l’ancienne région limousin du passage à la grande région. « Car la réalité peut être bien différente du ressenti ! » a-t-il précisé. Il considère donc que le ressenti ne relève pas du réel ! Quel curieux raisonnement, même si bien sûr le ressenti n’épuise pas le réel.

Cette étude serait très bien venue, à condition toutefois qu’il s’agisse d’une véritable étude scientifique -tant qualitative que quantitative- qui mobilise des approches et des équipes aux points de vue et méthodes différents, seul moyen de rendre réellement compte du réel dans une telle situation !

Car enfin est-ce la fuite en avant dans la métropolisation qui nous sauvera ?

On peut partager le diagnostic de R. Savy sur les effets désastreux de la grande région pour nos populations et nos territoires. Mais est-ce vraiment par la fusion des trois départements et le statut de Métropole pour Limoges qu’on sortira des difficultés ?  A-t-on pris soin au moins de demander leurs avis aux intéressés ?

Quant au Maire de Limoges il estime qu’une autre voie est possible « qui viserait à consolider et développer un système métropolitain polycentrique, reposant sur un maillage urbain équilibré et sur la mise en synergie et en réseau des territoires régionaux d’emploi métropolitain, dans lequel la Région Nouvelle Aquitaine aurait toute sa place d’animateur. Les zones d’emploi de Pau, Limoges, Poitiers, Bayonne, Niort et La Rochelle jouent en effet un rôle non négligeable dans l’encadrement d’un territoire rural plus vaste qui déborde parfois du cadre régional qu’il s’agit lui aussi de ne pas fragiliser.  » (délibération soumise au Conseil municipal du 19 décembre prochain)

Penser le  tissu urbain comme encadrant les territoires ruraux ! Drôle de conception de l’égalité territoriale.  Il est vrai que selon la même délibération il serait illusoire de travailler à « un supposé rééquilibrage [des territoires] sans espoir et à grands frais au profit de secteurs moins attractifs », la Ville de Limoges ayant conçu sa contribution au projet territorial de la région Nouvelle Aquitaine autrement que sur « l’autel de l’égalité territoriale » !

En fait c’est toujours  la même logique, la même mode des métropoles qui prévaut dans ces propositions qui n’ont d’alternative que le nom. Cette mode métropolitaine au nom de laquelle ils ont tous -avec le brillant succès que l’on sait- défendu le projet de LGV

Cette mode repose sur une hypothèse fondamentale: il existerait des effets de taille, des effets de « masse critique » à l’origine des meilleures performances supposées des grandes régions, des grandes universités…  Et si cette hypothèse était largement invalidée par la recherche ? En effet, il n’y a pas de consensus scientifique là-dessus.

Ainsi, Olivier Bouba-Olga (Université de Poitiers) montre qu’il n’y a pas un seul modèle possible de développement territorial. « S’agissant de la mode du « big is beautiful », l’analyse des données disponibles invite à la plus grande prudence: l’hypothèse d’un effet « masse critique » ne résiste pas à l’épreuve des faits… La taille économique des territoires n’explique pas le taux de croissance de l’emploi de ces mêmes territoires. Le « big » n’est pas nécessairement « beautiful »… Les spécialisations des territoires importent plus que leur taille  » ( Dynamiques territoriales- Éloge de la diversité, Atlantique – Éditions de l’Actualité scientifique Nouvelle Aquitaine, octobre 2017 ).

Ce qui rejoint  les conclusions de  Laurent Rieutort (Université de Clermont-Ferrand). De 1999 à 2013, ce sont les zones peu denses ou très peu denses en population  qui ont enregistré les dynamiques de population et d’emplois les plus fortes . « Les zones à faible densité connaissent des marges de croissance probablement plus importantes que les cœurs métropolitains où les « économies d’agglomération »   jouent à plein mais où les investissements en capital humain, financier ou technologique deviennent extrêmement coûteux. Par opposition, dans les espaces ruraux, des atouts souvent ignorés relèvent de la dimension relationnelle (les liens de confiance), de la diffusion (malgré ses lenteurs) des technologies de l’information et de la communication (TIC), des aménités recherchées par les citoyens (avec des « coûts du territoire » modérés)… mais aussi, évidemment, des effets d’entrainement des grandes agglomérations. » (La ruralité en France: des potentiels oubliés ? – Population et avenir,  n°731, 2017)

Mais dans quels types de relations territoriales entre les différents espaces ruraux, urbains et métropolitains ? Relations de coopérations mutuelles  respectueuses et équilibrées ou relations de concurrence où les plus grands cherchent sans fin à se nourrir des plus petits ? « Nombre de savoirs et de savoir-faire se trouvent hors métropole, ils sont le produit d’une histoire longue; les grandes villes agissent en complément, en assurant des fonctions support importantes, facilitant leur diffusion. » analyse O. Bouba-Olga. Dans la foulée, il montre aussi qu’il n’y a guère de ruissellement entre les métropoles et leurs territoires environnants, pas plus qu’il n’y a de ruissellement entre les riches et les pauvres ! « Paris devrait s’interroger sur ce qu’elle doit au reste de la France, tout comme Bordeaux, Lyon et Toulouse, plutôt que l’inverse« . On pourrait ajouter que, dans son propre intérêt, Limoges devrait elle aussi ne pas ignorer (et donc mépriser) ce qu’elle doit à son territoire plutôt que de chercher à l’encadrer !!!

Sur ces sujets, un vrai débat public  s’impose, un débat contradictoire, un réel débat  d’options politiques… sous peine de revivre – et à plus large échelle encore- la désastreuse expérience de la LGV !

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